Une organisation apprenante est une organisation humaine (entreprise, administration, etc.) qui met en œuvre un ensemble de pratiques et de dispositions pour rester en phase avec son environnement. On rencontre aussi l’ appellation entreprise apprenante.
Chaque entreprise peut être considérée comme un système vivant opérant au sein d'un écosystème. À l'intérieur de l'entreprise, comme dans un organisme multicellulaire, chaque membre est lui-même attentif à cet écosystème. Dans l'entreprise apprenante, tous les membres apprennent les uns des autres. Cette communication transversale permet l'émergence du vivant qu'il soit innovation, intelligence collective ou adaptation permanente à l'environnement. C'est ce qui assure le développement durable de l'organisation.
Popularisé par les travaux de Chris Argyris[1] et de Peter Senge[2], les spécificités et les pratiques de l'organisation apprenante se sont développées dans les années 90 et 2000, la réflexion sur le « comment apprendre » faisant suite aux recherches de Jean Piaget[3] sur l'émergence de l'intelligence chez l'enfant, l'apprentissage par accommodation, par assimilation...
Ces recherches ont été reprises par Arie de Geus[4], homme d'entreprise, responsable du Group planning de Royal Dutch Shell, dans son livre The Living Company. Il semble que c’est cet auteur qui a parlé le premier d’entreprise apprenante[5].
Peter Senge, dans son livre « La 5e discipline, l'art et la manière des organisations qui apprennent » et dans le « Guide de terrain » décrit cinq disciplines qui, pratiquées conjointement, permettent à l'entreprise de devenir une « organisation apprenante », en développant l'apprenance, le learning, un concept et une attitude, qui va au-delà d'un outil managérial puisqu'il implique une transformation parallèle des personnes et des organisations. L'idée est : « je me transforme moi-même pour transformer mon organisation ».
Ces recherches sur l'organisation apprenante ont ensuite largement inspiré les études sur la gouvernance des organisations et l'importance de la transversalité et du dialogue dans les techniques de management. En France les travaux de Peter Senge sont prolongés par l'association Sol France.
L'apprentissage organisationnel peut être défini comme un processus d'apprentissage par le biais d'interactions sociales au niveau des groupes et des organisations. Grâce à l'apprentissage organisationnel, "des organisations entières ou leurs composantes s'adaptent à des environnements changeants en générant et en adoptant de manière sélective des routines organisationnelles" [6]. Cela signifie que l'apprentissage organisationnel a pour conséquence un niveau accru de connaissances organisationnelles, capable de générer de nouveaux changements dans l'organisation.
L’apprentissage organisationnel ne saurait être confondu avec l’organisation apprenante. Pour qu’une organisation devienne apprenante, il faut que cela soit décidé et qu’un certain nombre de mesures concrètes aient été mise en place pour qu’elle le devienne[7].
Farrukh et Waheed proposent dans une revue de littérature de 2015 la définition suivante de l'organisation apprenante: il s’agit d’une organisation qui apprend par l'intermédiaire de ses membres, individuellement et collectivement afin de créer des avantages concurrentiels en développant un système de facilitation à travers le processus d'auto-développement et de partage de l'information, tout en responsabilisant ses employés[8]. Senge considère l'organisation apprenante comme une invention sociale, qu’on pourrait comparer à une invention technique. Tout comme une invention technique est composée d'éléments tangibles appelés technologies, une invention sociale est composée d'éléments intangibles appelés disciplines. Une discipline est essentiellement "un ensemble de théories et de techniques qui doivent être étudiées et maîtrisées pour être mises en pratique". Une discipline est un chemin de développement permettant d'acquérir des aptitudes ou compétences... Pratiquer une discipline, c'est être apprenant tout au long de la vie". Ces disciplines doivent converger pour que l'entreprise se développe en tant qu'organisation apprenante. Mais au delà de cela, Senge considère que l’élément clé de l’organisation apprenante est un changement d’état d’esprit de l’ensemble des employés, et en particulier des managers. “A learning organization is a place where people are continually discovering how they create their reality. And how they can change it” (Senge, 1999, p.13). Pour lui, l’essence de la transformation en entreprise apprenante est cette «quête pour un apprentissage cognitif, émotionnel et spirituel, seul apte produire ce changement d’état d’esprit[7].
Dans son best-seller, Peter Senge propose cinq caractéristiques, qu’il appelle «disciplines» dont il considère qu’elles sont nécessaires, i.e. qu’elles doivent être pratiquées pour qu’une organisation devienne apprenante[9],[10]:
Pour David A. Garvin, une organisation apprenante est « une organisation capable de créer, acquérir et transférer de la connaissance, et de modifier son comportement pour refléter de nouvelles connaissances »[13].
Pour mettre en œuvre concrètement cet apprentissage, Garvin estime que l'organisation apprenante doit développer cinq activités :
Plus qu’un modèle, une organisation apprenante est un état d’esprit. Cette démarche doit être considérée comme un projet d’entreprise impliquant l’ensemble des acteurs.
Elle s’appuie sur :
Contribuer au savoir devient un critère clé de toutes les activités de l’organisation. C’est œuvrer aux capacités de développement de l’organisation elle-même (et plus seulement des personnes), apprendre de l’expérience et évoluer en prenant appui sur celle-ci. C’est investir dans la capacité de chaque personne à monter en compétence et dans la capacité collective à évoluer des groupes qui composent la structure.
L’organisation axée sur l’apprentissage est construite comme un système écologique qui stimule l’apprentissage continu à travers le travail. Démarche pragmatique d’évolution vers un objectif de progrès qui s’inscrit dans une logique de responsabilité sociale de l’entreprise dont chaque projet, chaque journée augmente les savoirs.
Son principe est celui d’une cible de progression organisationnelle et professionnelle, en laissant une part d’incertitude tant sur les contours que sur l’itinéraire pour l’atteindre. Cette cible mouvante est un principe méthodologique profondément cohérent dans la perspective d’une organisation apprenante. Il s’agit de concevoir des systèmes qui soient capables d’apprendre et d’ajuster leur action comme le ferait un cerveau.
En forte articulation avec les situations de travail, la démarche collective de confrontation, conjuguée à la mobilisation de l’intelligence pour construire des solutions, ont pour finalité le transfert de l’action sur le terrain. Il ne s’agit pas seulement de l’habileté à créer de nouveaux savoirs, il s'agit aussi de l’habileté à les transmettre et à les mettre en œuvre.
Que ce soit dans la nature ou dans les structures, il s'agit d'apprendre à apprendre de son expérience et ceci, dans une logique de développement des personnes, des organisations et des outils conformes aux besoins d’évolutions progressives.
Au sein d'une organisation apprenante, on cherche à :
Ensemble, quelquefois avec des approches différentes mais complémentaires, les différents acteurs vont analyser les événements. Ils vont exploiter des relations possibles entre des phénomènes proches, développer les ressources d’un raisonnement logique et d’une construction commune.
Car c’est la manière dont la personne comprend et exploite son expérience qui la rend signifiante.
Mais c’est aussi elle qui décide de son investissement qui apprend et choisit de mettre en œuvre. Cette décision dépend de facteurs intrinsèques et extrinsèques dont la responsabilité appartient tant à la personne qu’à l’organisation. Si la participation de l’ensemble des personnes favorise la responsabilisation de chacun, la mise en place d’apports de formation ponctuels et ciblés est une composante incontournable dans la réussite de la démarche. La structure et ses acteurs se doivent de Savoir, Vouloir et Pouvoir acquérir ces nouvelles compétences pour devenir réellement une organisation apprenante.
Le développement des compétences est à considérer comme un enjeu partagé et permanent.
Les entreprises, les produits, l’organisation du travail, les dispositifs se modifient en flux continu et tendu, le capital compétences des personnes doit évoluer et faire évoluer celui de la structure. La projection dans l’avenir professionnel et social tend à donner sens à cet investissement. Il s’agit de faire apparaître le retour réflexif sur les tâches et événements comme une composante ordinaire et reconnue du travail. C’est se situer dans une communication ne se réduisant pas à de simples échanges d’informations mais au partage des démarches, des modes de construction des savoirs, des savoirs en cours d’élaboration. C’est la volonté de miser sur des stratégies de mobilité professionnelles (sinon les démarches pourraient s’avérer pénalisantes pour atteindre des objectifs productifs (économiques et sociaux) à court terme).
Dans cette dynamique il est important d’accompagner l’encadrement de proximité dans l’évolution de ses missions. C’est un état de veille permanente, où il s’agit de multiplier les modalités et les occasions de développement des compétences, mais aussi de leur reconnaissance. L’organisation apprenante est aussi qualifiante.
C’est considérer de manière positive et optimiste les événements de l’activité professionnelle. Ils sont de formidables occasions d’apprentissages et d’évolution tant individuelle que pour l’organisation. Les problèmes ne sont-ils pas des opportunités déguisées en vêtements de travail ? Très souvent les règles cadrent l’action professionnelle et orientent les tâches vers un résultat attendu, alors il s’agit de développer une posture complémentaire d’exploration face aux événements qui font le quotidien de toute activité professionnelle. Ces événements peuvent être considérés de deux types :
Pour Chris Argyris et Donald Schön, il y a deux niveaux d'apprentissage. Il y a apprentissage en « simple boucle » (single loop) lorsque les acteurs sont capables de détecter une erreur et se contentent de la corriger. Il y a apprentissage en « double boucle » (double loop) lorsqu'il ne s'agit plus seulement de corriger une erreur mais de modifier la façon de penser[14]. Seule l'organisation capable de modifier les valeurs qui guident les stratégies d'action peuvent être qualifiées d'« organisation apprenantes ». La communication réflexive commune est alors un élément incontournable de la production, il s’agit de réfléchir pour agir, les acteurs sont aussi des chercheurs, mais surtout des trouveurs impliqués dans l’action. L’organisation apprenante permettra d’apprendre à apprendre de son expérience.
Il est un médiateur, avec des qualités d’audace, d’imagination et de modestie face à l’imprévu. Il cristallise les éléments du cadre et crée les conditions de l’apprentissage au regard des événements mais il n’est pas, loin de là, la seule source de savoir et de construction des compétences.
Il assure la mise en place d’une évaluation en continu afin de permettre des réajustements pédagogiques ou de contenu. C’est une pédagogie cybernétique où interagissent évaluation, compléments d’information et de formation. Son rôle est de valoriser les micro changements, dans la maîtrise des événements, dans le travail et son environnement. Il se doit de rendre les apprenants acteurs de la transformation : privilégier le développement de nouveaux modes de coopération ; dispenser les apports formatifs au fur et à mesure ; réinvestir rapidement les apprentissages dans le travail. Un adulte n’accepte de se former que s’il trouve dans sa situation par la formation une réponse à ses problèmes. L’objectif est ici autant de renforcer les compétences des formés que de trouver des solutions, le pilote est le garant de l’appropriation et de la compréhension de ce lien.
Développer des compétences de communication, le langage et donc la pensée sont des actifs circulant entre pairs, mais aussi entre acteurs de différents niveaux et responsabilité. L’apprentissage réalisé à différents niveaux collectifs est de beaucoup supérieur à la somme des apprentissages individuels, il doit permettre que le système puisse arriver à « apprendre à apprendre » Pour garantir le succès d’un changement il est préférable de faire évoluer l’ensemble d’un collectif de travail. Dans cette perspective, l’encadrement intermédiaire se doit d'évoluer vers un rôle d’animation et de conduite de projet.
Une conclusion qui ne peut être que provisoire empruntée à Philippe Zarifian : « L’élément qui unifie toutes les dimensions d’une organisation apprenante peut s’exprimer ainsi : Apprendre de l’instabilité et des mutations et donc devenir actif face à cette instabilité, apprendre à s’affronter positivement au devenir qui par définition est incertain et le faire ensemble dans des démarches de communication active… ».