Massacre de Khartoum
Date
Lieu Khartoum
Victimes Civils soudanais
Morts 108 au moins[1]
Auteurs Forces de soutien rapide[1]
Ordonné par Mohamed Hamdan Dogolo[1]
Guerre Manifestations de 2018-2019 au Soudan
Coordonnées 15° 38′ 00″ nord, 32° 32′ 00″ est
Géolocalisation sur la carte : Soudan
(Voir situation sur carte : Soudan)
Massacre de Khartoum
Géolocalisation sur la carte : Moyen-Orient
(Voir situation sur carte : Moyen-Orient)
Massacre de Khartoum

Le massacre de Khartoum s'est produit le lorsque les forces armées du Conseil militaire de transition soudanais, dirigées par les Forces de soutien rapide, milices héritières des Janjawid, ont utilisé des tirs et des gaz lacrymogènes pour disperser un sit-in des manifestants à Khartoum et tué plus de 100 personnes.

Dans la soirée du , il a été fait état d'un grand nombre de victimes sur le terrain du sit-in avec difficulté d'évacuation ainsi que d'autres qui ont été jetées dans le Nil. Des centaines de civils non armés ont été blessés, des centaines de citoyens non armés ont été arrêtés et de nombreuses familles ont été intimidées à travers le Soudan.

Contexte

[modifier | modifier le code]

Les manifestations soudanaises de 2018-2019 ont débuté en , puis se sont poursuivies pendant des mois, jusqu'au , le jour ou le peuple soudanais s'est rassemblé devant le quartier général des forces armées dans le plus grand sit-in de l’histoire soudanaise.

Le , lors d'un coup d'État, les militaires ont destitué Omar el-Bechir du pouvoir et mis en place un Conseil militaire de transition (CMT)[2]. Après la poursuite des manifestations, Ahmed Awad Ibn Auf a annoncé sa démission et remplacé par le lieutenant-général Abdel Fattah Abdelrahmane al-Burhan. Les manifestants soutenus par l'Association des professionnels soudanais (SPA) et les groupes d'opposition démocratique engagés dans des manifestations de rue, appellent le Conseil militaire de transition au pouvoir à se retirer « immédiatement et sans condition » en faveur d'un gouvernement de transition dirigé par des civils, et demandant d'autres réformes.

D'après le journaliste Gérard Prunier, face au Conseil militaire de transition, « le rassemblement fonctionnait aussi comme un meeting politique permanent où chacun faisait preuve de solidarité. Tout le monde s'occupait des enfants ; les femmes, qui avaient trouvé leurs voix, étaient omniprésentes ; et les provinciaux découvraient la capitale. Les slogans donnaient le « la  » d'un mouvement résolument pacifique : « Silmiya » (« Non-violence »), « Hurriya  » (« Liberté »), « Thawra  » (« Révolution »), « Dhidd al-haramiya » (« À bas les voleurs »), « Madaniya » (« Le pouvoir aux civils »). Pendant tout le ramadan, dans ce pays musulman gouverné par les islamistes depuis trente ans, les manifestants respectaient jeûne ou pas, selon leur libre choix, par presque 50 à l'ombre. Les commerçants, y compris chrétiens, approvisionnaient la foule en biens de première nécessité[3]. »

Pendant environ deux mois, le CMT a engagé avec la SPA un dialogue sur la manière de passer à un gouvernement de transition, le point de désaccord principal étant de savoir si le gouvernement de transition devait être dirigé par un civil ou par un militaire. Il y a eu de nombreuses tentatives pour disperser les manifestants et dégager le sit-in devant le QG militaire à Khartoum.

Le , la SPA s'est dit préoccupé par l'intention du CMT de mener une attaque meurtrière de grande ampleur, déclarant que le , « deux citoyens, dont une femme enceinte, ont été abattus par les forces du CMT ». La SPA a averti que des camions militaires du National Intelligence and Security Service (NISS), des RSF (Rapid Support Forces) et d'autres forces de sécurité de l'État ont été déployés autour de la zone du sit-in. Le 1er juin, la SPA a déclaré qu'il avait des raisons de croire que le CMT « planifiait et travaillait à mettre fin au sit-in pacifique au quartier général de l'armée avec une force et une violence excessives » après que trois personnes aient été tuées dans des incidents en marge de la manifestation, la semaine précédente[4].

Massacre du 3 juin

[modifier | modifier le code]

Le , les forces du CMT, notamment les RSF, héritières des Janjawid, ainsi que d'autres forces du CMT, ont utilisé des tirs et des gaz lacrymogènes ainsi que des bombes assourdissantes pour disperser le sit-in, faisant plus de 100 morts. Au soir du , il a été fait état d'un grand nombre de victimes sur le terrain et des difficultés d'évacuer les survivants, ainsi que d'autres qui ont été jetées dans le Nil[5]. Des centaines de civils non armés ont été blessés, des centaines de citoyens non armés ont été arrêtés et de nombreuses familles ont été terrorisées dans leurs propriétés à travers le Soudan.

Au total, plus de 200 véhicules militaires ont été utilisés dans l'attaque, avec plus de 10 000 soldats et autres personnels non identifiés en uniforme de police[réf. nécessaire].

Chronologie

[modifier | modifier le code]

Ce qui suit est une chronologie du déroulement de ce qui s'est passé dans le camp de sit-in :

Responsabilité

[modifier | modifier le code]

Les forces du Conseil militaire de transition, dirigé par les Forces de soutien rapide (RSF) dirigées par Mohamed Hamdan Dogolo (« Hemedti »), sont largement considérées comme responsables de cette attaque. Le quotidien The Daily Beast attribue la responsabilité directement à RSF sous le commandement de Hemedti, sur la base de vidéos, de témoignages et d'entretiens avec des militants civils[7].

D'après Gérard Prunier, les assaillants n'étaient pas des militaires — qui pour beaucoup sympathisaient avec les manifestants — mais des mercenaires venus du Darfour (les Forces de soutien rapide) et des unités apparentées aux services de renseignement[3].

Conséquences

[modifier | modifier le code]

Lundi , le CMT a annulé tous les accords conclus lors des pourparlers avec la principale alliance de l'opposition sur la mise en place d'une administration transitoire. Les dirigeants de l'alliance d'opposition de la Déclaration des forces pour la liberté et le changement (DFCF) ont déclaré qu'une campagne ouverte de désobéissance civile continuerait d'essayer de forcer le Conseil à quitter le pouvoir. Les dirigeants ont également ajouté qu'il n'y a aucune place pour des négociations, car les dirigeants militaires ont essayé de faire des concessions face aux critiques internationales des exécutions aveugles de lundi.

Le 5 juin, Khartoum était tendue avec de nombreuses routes barricadées par les manifestants, des magasins fermés et des rues pour la plupart vides. Des véhicules des Forces de soutien rapide (RSF) patrouillaient dans les rues d'Omdourman, de l'autre côté du Nil de Khartoum et tiraient en l'air[8].

Le 5 juin, le Conseil de sécurité des Nations unies s'est réuni à la demande de la Grande-Bretagne et de l'Allemagne pour entendre un exposé de l'envoyé de l'ONU Nicholas Haysom, qui travaille avec l'Union africaine (UA) à une solution à la crise au Soudan. Mais la Chine, soutenue par la Russie, a bloqué une tentative de condamnation des meurtres de civils et de lancement d'un appel urgent des puissances mondiales pour un arrêt immédiat de la violence[9].

Le mercredi , le DFCF a appelé tous les pays et les organisations internationales à cesser de collaborer avec le Conseil militaire de transition du Soudan. Ils ont également appelé la communauté internationale à commencer à examiner « les violations et les crimes en cours commis par les CMT dans toutes les villes et villages et à y mettre fin immédiatement ». Comme l'a rapporté le Comité central des médecins soudanais (CCSD), une organisation de volontaires médicaux, des dizaines de corps ont été retirés mercredi du Nil et les médecins ont déclaré qu'ils avaient été alourdis de pierres pour tenter de cacher le nombre réel de morts.

Le jeudi , le Département de la paix et de la sécurité de l'Union africaine a publié une déclaration suspendant la participation du Soudan à toutes les activités de l'UA avec effet immédiat - « jusqu'à la mise en place effective d'une autorité civile de transition », qu'il décrit comme le seul moyen de « sortir de la crise actuelle »[10].

Réactions

[modifier | modifier le code]

Le Secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, a condamné l'usage excessif de la force par les agents de sécurité soudanais et s'est dit inquiet des informations selon lesquelles des forces avaient ouvert le feu dans un hôpital[11].

Image externe
Photographie de la fresque au musée d'Art Schirn (du Frankfurter Allgemeine).
Pour des questions de droit d'auteur, sa reproduction n'est pas autorisée sur Wikipédia.

En 2022, l'artiste soudanaise Amna Elhassan crée une œuvre marquante au musée d'Art Schirn (en) de Francfort-sur-le-Main, en Allemagne, avec son exposition Deconstructed Bodies – in Search of Home. Elle réalise une fresque grand format intitulée December se veut un monument aux victimes de la révolution soudanaise, qui a été largement soutenue par les femmes soudanaises[16]. Selon Sebastian Baden, directeur du musée, « avec sa peinture panoramique in situ dans la rotonde du Schirn, Elhassan montre un signe de courage et d'engagement en faveur d'une démocratie dynamique. L'artiste a dédié un mémorial artistique tourné vers l'avenir aux victimes du massacre de Khartoum[17] ».

Voir aussi

[modifier | modifier le code]

Notes et références

[modifier | modifier le code]
  1. a b et c Célian Macé, Qui sont les RSF, responsables du massacre de Khartoum ?, Libération, 6 juin 2019.
  2. « L'actualité au Soudan », sur TV5Monde (consulté le )
  3. a et b Gérard Prunier, « L’« État profond » à la manœuvre au Soudan », sur Le Monde diplomatique,
  4. « actu.orange.fr/monde/soudan-de… »(Archive.orgWikiwixArchive.isGoogleQue faire ?).
  5. « Au Soudan, au moins 108 morts à la suite de l’intervention de l’armée contre les manifestants », sur Le Monde, (consulté le )
  6. « L’armée tente d’étouffer la contestation au Soudan », sur www.bbc.com, (consulté le )
  7. « Au Soudan, Muhammad Hamdan Daglo, le général terreur », sur www.la-croix.com, (consulté le )
  8. Le Point magazine, « Soudan : Londres et Berlin demandent une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU », sur Le Point, (consulté le )
  9. « Le Secrétaire général nomme Nicholas Haysom, de l’Afrique du Sud, Représentant spécial pour la Somalie et Chef de la MANUSOM - Couverture des réunions & communiqués de presse », sur www.un.org (consulté le )
  10. « L'Union africaine suspend le Soudan jusqu’à l’installation d’une autorité civile », sur RFI, (consulté le )
  11. « Soudan : le chef de l’ONU nomme Nicholas Haysom pour soutenir les efforts de médiation de l’Union africaine », sur ONU Info, (consulté le ).
  12. a et b « Crise au Soudan : le Royaume-Uni et l'Allemagne demandent une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU », sur RTBF Info, (consulté le ).
  13. « La troïka du Soudan préoccupée par l'usage de force lors des manifestations », sur www.aa.com.tr (consulté le ).
  14. « Appels sur l'actualité - [Vos réactions] L’Union africaine suspend le Soudan », sur RFI, (consulté le ).
  15. Par Nicolas BerrodLe 12 avril 2019 à 11 h 26 et Modifié Le 12 Avril 2019 À 12h13, « Comprendre en cinq minutes la crise au Soudan », sur leparisien.fr, (consulté le ).
  16. (en) Larissa-Diana Fuhrmann, « Female resistance made in Sudan », sur schirn.de, Schirn Kunsthalle Frankfurt, (consulté le ).
  17. (de) « Amna Elhassan: Deconstructed Bodies- In Search of Home », sur artisnext.net, (consulté le ).