Titre original | Shoah |
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Réalisation | Claude Lanzmann |
Pays de production | France |
Genre | Documentaire |
Durée |
570 min[1] (France) 503 min[2] (États-Unis) 566 min[3] (Royaume-Uni) 544 min (Suède) |
Sortie | 1985 |
Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution
Shoah est un film documentaire français sur l'extermination des Juifs par les nazis, durant la Seconde Guerre mondiale. Réalisé par Claude Lanzmann, le film, qui dure près de dix heures, est sorti en 1985. Tourné dans les années 1976-1981, monté durant plus de 5 ans à partir de 350 heures de rushs[4], il est composé d'entrevues de témoins de la Shoah et de prises de vues faites sur les lieux du génocide[5].
Récompensé d'un César d'honneur en 1986, il est inscrit en 2023 au registre de la Mémoire du monde de l'UNESCO[6]. Cité à de nombreuses reprises dans les listes des meilleurs films de tous les temps[7],[8],[9], cette oeuvre-monument marque une date importante dans la représentation et la diffusion de la mémoire de la Shoah[10].
Longue méditation douloureuse sur la singularité des crimes nazis et la douleur de l'Homme survivant, le film prend le parti de n'utiliser aucune image d'archives. Seuls des témoignages de rescapés, de contemporains ou d'assassins sont montrés. Quelques séquences ont été rejouées ou préparées (ainsi le récit poignant d'un coiffeur, Abraham Bomba), mais la plupart ont été tournées en caméra directe, traduites à la volée par l'un ou l'une des protagonistes.
D'une durée de près de 10 heures, le film est construit en quatre volets : la campagne d'extermination par camions à gaz à Chełmno ; les camps de la mort de Treblinka et d'Auschwitz-Birkenau ; et le processus d'élimination du ghetto de Varsovie.
Le volet consacré à Chełmno met en avant les témoignages de Simon Srebnik, détenu sauvé par sa voix mélodieuse et que les nazis faisaient chanter à la demande ; de Mordechaï Podchlebnik, détenu évadé ; de Franz Schalling, un soldat SS ; de Walter Stier, un bureaucrate nazi qui décrit le fonctionnement des chemins de fer (il insiste pour dire qu'il était trop occupé à gérer le trafic ferroviaire pour remarquer que ses trains transportaient des Juifs à la mort).
Le volet consacré à Treblinka met en avant les témoignages d'Abraham Bomba, détenu et coiffeur, de Richard Glazar, détenu appartenant au commando de travail et qui survécut à la révolte du camp, d'Henryk Gawkowski, polonais conducteur de locomotives pour qui seule la vodka permettait de supporter son travail, et de Franz Suchomel, un Unterscharführer SS qui a travaillé dans le camp. Il détaille longuement le fonctionnement concentrationnaire et criminel de la chambre à gaz du camp. Jusque-là stoïque, Bomba s'écroule en se remémorant la scène d'un codétenu obligé de raser sa femme et sa sœur, à l'orée de la mort, sans pouvoir leur venir en aide. De son côté, Suchomel affirme qu'il ne savait rien de l'extermination, jusqu'à son arrivée à Treblinka.
Les témoignages sur Auschwitz sont fournis par Rudolf Vrba, l'un des rares détenus à avoir réussi à s'évader du camp, et par Filip Müller, détenu qui a travaillé dans l'un des fours crématoires (bouleversé par le souvenir, il se souvient du chant des prisonniers dans la chambre à gaz). Certains villageois des alentours sont interrogés, qui n'ont pas de peine à avouer qu'ils savaient.
Le ghetto de Varsovie est décrit par Jan Karski, qui travaillait pour le gouvernement polonais en exil et qui tenta sans succès de convaincre les gouvernements alliés d'intervenir pour mettre fin à la barbarie exterminatrice, et par Franz Grassler (de), adjoint du commissaire nazi du Ghetto, ains que de survivants juifs de l'insurrection du ghetto de Varsovie.
Des entrevues avec Raul Hilberg, historien, ponctuent le film.
Les protagonistes sont filmés à caméra ouverte, à l'exception de trois :
« Il y a dans Shoah six nazis. Parmi eux, trois ont été filmés à leur insu et les trois autres avec une caméra classique[14],[15]. »
Lanzmann a déclaré avoir dû payer copieusement les témoins allemands[16],[17].
Entre l'enquête préparatoire, qui dure quatre ans, dans quatorze pays, le tournage (près de 350 heures entre 1976 et 1981), sur les lieux mêmes du génocide, et le montage, le film a pris douze ans pour voir le jour (1973-1985)[19]. Son origine vient d'une commande du gouvernement israélien, en , à la fin de la guerre du Kippour : « L'aventure de Shoah commence ici : mon ami Alouf Hareven, directeur de département au ministère des Affaires étrangères israélien, me convoqua un jour et me parla avec une gravité et une solennité que je ne lui connaissais pas. […] Il ne s'agit pas de réaliser un film sur la Shoah, mais un film qui soit la Shoah. […] Si tu acceptes, nous t'aiderons autant que nous le pourrons[20]. » Mais le film a rapidement épuisé les commanditaires, tant par sa durée que par ses délais de fabrication. Le réalisateur a dû trouver d'autres financements : gouvernement français et beaucoup de dons directs en France[21]. Par contre, aucun secours du Congrès juif mondial, ni d'aucun donateur américain.[22]
Le film a fait sensation dès sa sortie : sa longueur, sa rigueur, son intransigeance ont impressionné. La presse fut immédiatement élogieuse et les prix et distinctions ne tardèrent pas à consacrer l'œuvre autant que le réalisateur.
La polémique a éclos sans attendre, largement entretenue par le gouvernement polonais de l'époque, le film était dit antipolonais. L'Association socioculturelle des Juifs de Pologne (Towarzystwo Społeczno-Kulturalne Żydów w Polsce) s'indigna et remit une lettre de protestation à l'ambassade française à Varsovie. Wladyslaw Bartoszewski, survivant d'Auschwitz et citoyen d'honneur d'Israël, reprocha à Lanzmann de ne pas évoquer les milliers de sauveurs polonais de Juifs et d'avoir mis l'accent sur des Polonais ruraux pauvres en haillons, conformes aux clichés sur la Pologne.
Cependant Jan Karski, l'un des témoins polonais les plus importants du film, qui regrettait aussi cet aspect, s'est dissocié des critiques en déclarant dans la revue Esprit :
« Shoah est sans aucun doute le plus grand film qui ait été fait sur la tragédie des Juifs. Nul autre n'a su évoquer l'holocauste avec tant de profondeur, tant de froide brutalité et si peu de pitié pour le spectateur. De surcroît, la construction du film, l'enchaînement des témoignages, des événements, de la nature et des saisons débordent d'une poésie très pure […]. Ceux qui verront ce film ne pourront jamais l'oublier[27]. »
Le film a été ignoré dans le monde arabo-musulman, avant que l'association Projet Aladin, sous le patronage de l'Unesco, n'entreprenne en 2011 la traduction en langues persane, arabe et turque. La première diffusion en Iran a eu lieu, le , via deux télévisions satellitaires émettant depuis les États-Unis[12].
Le film et son réalisateur ont reçu treize prix différents :
Le film Shoah est monté à partir de trois cent cinquante heures de prises de vues, réalisées entre 1974 et 1981[5]. Le montage final fait environ 9 heures 30[28]. La quasi-totalité des rushes exploitables (approximativement 220 heures) sont disponibles à l'Holocaust Memorial Museum[29].
Claude Lanzmann a proposé quatre autres films basés sur des interviews faites à l'époque, qui n'avaient pu trouver (partiellement ou intégralement) leur place dans le film en 1985 :
Par ailleurs, deux films exploitent également des images filmées par Lanzmann :
« J’ai piégé beaucoup de monde, à commencer par la bureaucratie communiste polonaise pour obtenir la possibilité de tourner librement en Pologne. J’ai piégé des nazis, j’ai eu un faux nom, des faux papiers, et je n’ai reculé devant rien pour percer la muraille d’ignorance et de silence qui enfermait alors la Shoah. »
— Le Monde, 30 janvier 2010, en ligne sur pileface.com