En épidémiologie, le nombre de reproduction de base ou (ratio 0) d'une infection peut être défini comme le nombre moyen attendu de cas directement générés par un cas dans une population où tous les individus sont sensibles à l'infection[1],[2].
C'est un paramètre permettant de modéliser l'évolution d'une épidémie au fil du temps, en supposant que le facteur pathogène ne mute pas et que l'immunité acquise dure au-delà de la période épidémique.
varie en fonction de trois facteurs principaux : la durée de la phase contagieuse, la probabilité d'une transmission de l'infection lors d'un contact, et le nombre moyen de contacts d'une personne contaminée. À cela peuvent s'ajouter, selon les modèles utilisés pour le déterminer, des facteurs socio-économiques et environnementaux, qui peuvent conduire à des estimations différentes de ce [3].
« Le [est] le nombre moyen de personnes qu’une personne contagieuse peut infecter[4]. »
Supposons qu'un « patient zéro » se trouve d'une manière ou d'une autre en position de contaminer son environnement, le mécanisme de propagation de l'infection sera par hypothèse le suivant en moyenne :
Le nombre de personnes infectées varie donc exponentiellement.
Une propriété importante de ce est que :
En réalité, le ne décrit l'évolution d'une maladie qu'à ses tout débuts.
« Ce taux s’applique, et se calcule à partir d’une population qui est entièrement susceptible d’être infectée, c’est-à-dire qui n’a pas encore été vaccinée ni immunisée contre un agent infectieux[4]. »
Lorsqu'une fraction de la population a déjà été infectée ou est immunisée, les contacts avec cette fraction ne conduiront pas à des contaminations supplémentaires, et seule la fraction reste susceptible d'être contaminée. Dans ce cas, le nombre de reproduction effectif sera :
D'autre part, lorsque l'épidémie s'étend exponentiellement, la fraction diminue également exponentiellement, réduisant d'autant le effectif. Dans ce cas, pour des petites valeurs de , on montre que la courbe de contamination est bien approchée par une courbe logistique. Au fur et à mesure qu'une fraction de plus en plus importante de la population est touchée, le effectif diminue et finit par devenir inférieur à l'unité : la vitesse de propagation diminue ; et à partir d'un certain point, c'est la décroissance qui devient exponentielle, et l'épidémie s'éteint d'elle-même[6],[7],[8].
Le permet également de déterminer la proportion minimale au sein d'une population () qui doit être immunisée par l’infection naturelle ou par vaccination (si disponible) pour empêcher le déclenchement ou la persistance d’une épidémie :
On parle à ce propos d'effet d'immunité collective (immunité grégaire, herd immunity) pour désigner le pourcentage de la population qui devrait être immunisée pour que l’épidémie cesse de prospérer.
L'évolution d'une épidémie par rapport à ce point dépend du nombre de cas actifs. Quand ce point est atteint, la courbe de nouveaux cas passe par un maximum et commence à décroître. Ce n'est pas encore la fin de l'épidémie, mais le plus dur est passé.
Si cette proportion est présente dès le début d'une épidémie, par exemple à la suite d'une immunisation acquise lors d'une épidémie précédente, ou par une campagne de vaccination, alors l'épidémie sera étouffée dans l’œuf et ne pourra pas se développer.
Inversement, dans une situation d'endémie, pour laquelle le nombre de personnes affectées est relativement stable et le effectif proche de l'unité, la proportion de personnes n'ayant pas eu la maladie est égale à .
La modélisation de base est que, en moyenne, un individu infectieux établit contacts infectieux par unité de temps, pendant une période infectieuse moyenne de . Le nombre de reproduction de base sera alors :
Cette durée est une donnée biologique de la maladie.
Afin d'estimer l'effet de cette politique sur le , des hypothèses sont nécessaires sur le délai entre l'infection et le diagnostic, le délai entre l'infection et le début de la contamination, et la durée de la période contaminante. Si un diagnostic peut être posé avant même le début de la phase de contamination, et conduit à un isolement strict, il est clair que le sera réduit à pratiquement zéro, et l'épidémie sera stoppée net. Si le diagnostic est plus tardif, un isolement reste d'autant plus efficace qu'il est rapide et permet de réduire par l'isolement la durée de la période contaminante.
Le facteur , en revanche[Information douteuse], est une donnée sociologique. Cette formule simple suggère différentes manières de réduire , et finalement la propagation de l'infection. Il est possible de diminuer le nombre de contacts infectieux par unité de temps :
En isolant les deux facteurs précédents, le taux peut finalement être écrit de manière équivalente, sous la forme [9]
où est le taux de contact entre individus sensibles et infectés, et est la transmissibilité, c'est-à-dire la probabilité d'infection lors d'un contact.
Cette formulation est parlante, et permet de comprendre les différentes stratégies utilisées pour maîtriser une épidémie, mais est sans utilité pratique pour ce qui est des modélisations quantitatives de sa modélisation.
Une stratégie de prévention consiste à donner à la population concernée un a priori, tel que l'immunité collective est atteinte dès avant le début de l'épidémie, interdisant par là même un développement significatif.
Face à une épidémie en phase montante, le fait même que l'épidémie se répande montre que le correspondant est significativement supérieur à l'unité. Les stratégies possibles consistent alors à accentuer les mesures sanitaires et sociales précédentes par des mesures exceptionnelles, ce qui permet de réduire le :
Le nombre de reproduction de base peut être estimé en examinant les chaînes de transmission détaillées, ou par séquençage génomique. Cependant, il est le plus souvent calculé à l'aide de modèles épidémiologiques[10].
Sur une courbe épidémiologique décrivant le nombre de nouveaux cas et tracée dans un repère semi-logarithmique, dans ce cas idéal, on verra dans un premier temps la courbe monter suivant une droite croissante (phase de croissance exponentielle), puis s'infléchir, et descendre suivant la pente inverse (phase de décroissance exponentielle). Comme discuté ci-dessous, il est possible d'estimer le à partir de la pente de la courbe.
Il faut cependant être conscient que ce mécanisme, qui parle d'une « fraction de la population », ne peut suivre ce modèle que si la population a un périmètre défini, et est à la fois homogène, et isolée du reste du monde. Une immunité collective, acquise à l'échelle d'une région, peut néanmoins coïncider avec la contamination d'une région voisine non encore atteinte, déclenchant un nouveau pic de contamination à l'échelle nationale ; et dans ce cas, le signal du « pic » et sa symétrie théorique apparaîtront beaucoup plus brouillés par l'enchevêtrement des progressions géographiques.
Le dépend de divers facteurs : région, comportements, densité de population, organisation sociale ou saisonnalité. Il ne s'agit donc pas d'une constante. Il est sujet à de nombreuses erreurs d'interprétation, et son calcul de se révèle difficile[11].
Maladie | Mode de transmission | R0 |
---|---|---|
Rougeole | aérien | 12–18 |
Coqueluche | aérien | 12–17 |
Varicelle | aérien | 10–12 |
COVID-19 - Variant Omicron | aérien | ~10 [13]–12 à 15[14] |
COVID-19 - Variant Delta | aérien | 7,5 (J-F Delfraissy) [15] |
Diphtérie | contact (salive) | 6–7 |
Variole | contact | 5–7 |
Polio | contact (matière fécale) | 5–7 |
Rubéole | aérien | 5–7 |
Oreillons | aérien | 4–7 |
VIH/SIDA | contact (sang, sperme, sécrétions vaginales) | 2–5[16] |
Syndrome respiratoire aigu sévère | aérien | 2–5[17] |
Grippe (grippe espagnole de 1918) | aérien | 2–3[18] |
COVID-19 (souche d'origine) | aérien et contact | 2-4 |
Le est un concept utile pour ce qui est du raisonnement qualitatif, mais il serait illusoire d'en attendre une mesure précise et stable dans une situation donnée.
En effet, la « transmissibilité » varie suivant les conditions des rencontres, et est extrêmement difficile à évaluer quantitativement même en conditions standardisées. Elle varie également suivant les conditions saisonnières : un agent pathogène qui prospère dans les conditions froides et humides, comme la grippe « saisonnière », voit son efficacité s'effondrer en été, diminuant d'autant le .
De son côté, le « taux de contact » est extrêmement variable suivant le caractère sociable ou non du porteur (solitaire ou serveur de bar ?) ou du groupe social dans lequel il s'insère (club échangiste ou société d'Amish face à une MST). Il doit de plus prendre en compte la connectivité d'un groupe social à l'autre : une épidémie aviaire se transmettra très rapidement dans une même volière, mais les contacts d'une volière à une autre sont beaucoup plus limités. Enfin, il variera dans des proportions drastiques en cas d'épidémie importante, du seul fait de la variation des comportements : quand pendant les grandes épidémies de choléra les villageois accueillaient les étrangers à coup de fourche, la capacité d'un porteur à contaminer cette population s'en trouvait très diminuée.
Les discussions sur ce paramètre doivent donc être comprises comme des analyses essentiellement qualitatives, et les valeurs citées comprises comme des ordres de grandeurs plutôt que des seuils scientifiquement déterminés.
Pendant une épidémie, généralement le nombre d'infections diagnostiquées au fil du temps est connu. Aux premiers stades d'une épidémie, la croissance est exponentielle en , avec un taux de croissance logarithmique tel que :
Dans un repère semi-logarithmique, la courbe correspondante est une droite (aux fluctuations et erreurs de comptage près). Inversement, dans un tel tracé, à chaque fois que la courbe du nombre de nouveaux cas tend à être une droite, cela implique que le sous-jacent est resté constant, et donc qu'il n'y a pas eu de modification sensible à cette échelle du comportement général ou de la politique de santé.
Pour une croissance exponentielle, en début d'épidémie (où tout part d'une valeur négligeable), peut être interprété indifféremment comme le nombre cumulé de diagnostics (y compris les individus qui se sont rétablis) ou le nombre actuel de cas d'infection ; le taux de croissance logarithmique est le même pour l'une ou l'autre définition. En pratique, en début d'épidémie, la lecture est plus sûre sur le nombre cumulé de cas, qui porte sur des quantités plus importantes et a de ce fait des fluctuations moins importantes. En revanche, pour apprécier des pentes instantanées en cours d'épidémie, la mesure n'est généralement possible que sur le nombre de nouveaux cas.
Les segments en droite ligne constatés dans un repère semi-logarithmique permettent de donner une première estimation du .
Après la contamination initiale du sujet de base, les personnes contaminées le sont « en moyenne » après un temps , qui dépend du temps d'incubation et de la durée de la période de contamination, et éventuellement du caractère plus ou moins contagieux en début ou en fin de cette période. Si l'on fait par exemple l'hypothèse simplificatrice que la contagiosité est uniforme sur la période, le délai moyen de contamination au rang 1 sera celui séparant la contamination initiale du milieu de la période contaminante.
D'un rang à l'autre les délais de contamination seront de plus en plus étalés, mais la loi des grands nombres fait que le délai moyen de contamination au rang sera alors , c'est-à-dire fois le délai moyen au premier rang. Inversement, au bout d'un temps , le rang atteint sera en moyenne le rang .
En reportant cette valeur dans la loi de croissance du nombre de cas, le nombre de nouvelles contaminations au bout d'un temps sera :
On a donc :
C'est cette dernière formule qui permet de mesurer le effectif, à partir de la pente du nombre de cas nouveaux, et du délai moyen de contamination .
En croissance exponentielle, est lié au temps de doublement comme
Le , nombre sans dimension, ne dit rien, par lui-même, sur le temps de doublement d'une maladie, qui a la dimension d'un temps. Clairement, si une personne en contamine deux en moyenne, le temps de doublement sera beaucoup plus bref si la durée d'incubation et la période de contamination sont courtes, et sera du même ordre de grandeur que celles-ci.
Afin d'estimer , des hypothèses sont nécessaires sur le délai entre l'infection et le début de la contamination, et la durée de la période contaminante. Si l'on suppose pour simplifier qu'un malade est uniformément contagieux d'un bout à l'autre de sa période contaminante, le délai moyen de contamination pour le premier « rang » qu'il contamine est le milieu de cet intervalle de temps, soit : , et dans ce cas, le délai moyen de contamination sera :
On en déduit le temps de doublement par la formule d'évolution précédente :
Lorsque la vague épidémique s'apaise, le seuil d'immunité collectif a été franchi, et le effectif est devenu inférieur à l'unité. En queue d'épidémie, ce nombre de reproduction (qui dépend de la proportion de la population touchée et devenue immunisée) est sensiblement constant, et « toutes choses égales par ailleurs », on peut calculer le lien théorique entre ce nombre et le initial :
La décroissance est alors exponentielle. Tracée dans un repère semi-logarithmique, la pente correspondante de la courbe est alors :
Pour de petites valeurs de , et toutes choses égales par ailleurs :
C'est ce qui permet de dire que pour les faibles épidémies, la courbe des cas cumulés est sensiblement une sigmoïde. Pour les épidémies sévères, la population tend à modifier ses comportements entre-temps, changeant de ce fait la valeur du , et il n'y a plus de raison que cette symétrie puisse être observée.
En dehors de tels pics symétrique, l'interprétation est inversement que ces conditions de son apparition n'ont en tout cas pas été remplies : la population exposée ne l'a pas été de manière homogène dans l'espace ou dans le temps, ou les mesures sanitaires ou sociales ont été modifiées, induisant un changement dans la progression de la courbe.