« Pauvre Libert enlevé trop tôt à l'affection de tous ! Il avait commencé d'excellentes études, ses parents rêvant pour lui de devenir le défenseur de la veuve et de l'orphelin, - ce qui donne la gloire, - et des financiers véreux, - ce qui donne l'argent. Mais il préférait à l'étude du droit celle du répertoire dramatique et, à dix-huit ans, il débutait dans la tragédie. M. Larochelle, directeur de théâtres de banlieue, l'admettait à s'essayer dans les confidents. La toge et le cothurne n'allaient pas à sa nature ; il les lâcha pour chanter de l'Offenbach et s'en fut en Égypte, dans une tournée de Mlle Desclauzas. Puis, trouvant sa voie définitive, il entrait au Concert et chantait les gommeux dont il a réellement créé le genre, tant il a mis, gaspillé de talent dans les idioties que l'on sait.
Une voix chaude, vibrante, un masque très comique, une originalité d'allure particulière, lui ont permis de faire accepter et applaudir ses types-fantoches. Bon comédien, il eut pu réussir au théâtre d'où lui vinrent maintes propositions ; mais il s'était rivé le faux-col du gommeux au cou et il n'avait plus la force de l'en arracher.
Ce souvenir du créateur de Popaul, de Canada, de cent autres inepties qu'il parvenait à rendre amusantes, est resté chez tous ceux qui l'ont connu ; mais la scie qui l'y a le plus ancré, ce souvenir, c'est l'Amant d'Amanda.
L'auteur de cette machinette, Émile Carré, bon chansonnier, poète à ses heures, a été martyrisé toute sa vie pour son œuvre ! Ce qu'il aurait donné pour ne l'avoir jamais commise ! Il a eu beau, depuis, s'exercer à faire des chansons, parfaites comme fond et comme forme, troussées avec ferveur, pour bien prouver qu'il savait, il est toujours resté, pour le public et les confrères blagueurs, l'auteur de L'amant d'Amanda ! »[2].